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1913, La critique des critiques. "En fait, lorsque le capital, pour créer le marché mondial, s'attaque à l'économie naturelle primitive, ses méthodes impliquent la décimation, voire l'extermination de tribus entières."

La critique des critiques – Deuxième partie – deuxième section.

 

[Réponse à Bauer sur le rapport entre capitalisme et démographie : « Toute société dont la population s'accroît doit agrandir chaque année soir appareil de production. Cet impératif vaut pour la société socialiste future comme pour la société capitaliste du présent, la même nécessité régissait la production marchande simple ou l'économie paysanne du passé qui produisait pour la consom­mation personnelle » (Neue Zeit, loc. cit., p. 834).]

Il est évident que l'accroissement annuel de l' « humanité » n'a d'intérêt du point de vue de l'accumulation capitaliste que dans la mesure où l'humanité consomme et achète des marchandises capitalistes. Manifestement l'accroissement très rapide de la population au Nigéria du Sud où à Bornéo ne sert pas au capital de base d'accumu­lation. Devrions-nous croire que l'élargissement du cercle des acheteurs de marchan­dises capitalistes dépend en quelque sorte de l'accroissement naturel de la popu­lation ? Une chose est claire : si le capital attendait un élargissement de ses dé­bou­chés originels de l'augmentation naturelle de la population, il en serait aujourd'hui encore au stade de la manufacture où même à un stade encore moins évolué. En fait le capital n'a pas un instant l'idée d'attendre cet accroissement naturel. Pour élargir les bases de l'accumulation il a recours à d'autres méthodes plus rapides : il emploie la force et tous les moyens de pression politiques pour s'attaquer d'abord à l'économie naturelle, puis à l'économie marchande simple ; il veut créer, dans toutes les parties du monde, par la destruction successive de ces deux formes de production, des milieux toujours nouveaux d'acheteurs pour ses marchandises. Mais la confrontation de ces méthodes avec l'accroissement de la population des pays ou des peuples qui les subissent, peut donner des résultats frappants. Ainsi le cercle des acheteurs peut s'élargir tandis que la population décroît. En fait, lorsque le capital, pour créer le marché mondial, s'attaque à l'économie naturelle primitive, ses méthodes impliquent la décimation, voire l'extermination de tribus entières.

 

La violence accompagne l'évolution capitaliste depuis la découverte de l’Améri­que jusqu'à nos jours : que l'on songe aux Espagnols au Mexique et au Pérou au XVI° siècle, aux Anglais en Amérique du Nord au XVII° siècle, en Australie au XVIII° siècle, aux Hollandais dans l'archipel malais, aux Français en Afrique du Nord, aux Anglais en Inde au XIX° siècle, aux Allemands en Afrique du Sud-Ouest au XX° siècle. De même les guerres menées par le capitalisme européen pour « ouvrir » le marché chinois ont provoqué périodiquement des massacres de la population chinoise, ont donc abouti à un ralentissement de leur croissance naturelle.

 

Tandis que l'extension de la base de l'accumulation capitaliste provoque dans les pays non capitalistes l'extermination partielle de la population, cette même extension entraîne dans les pays d'origine du capitalisme d'autres modifications démographi­ques. Nous constatons dans tous les pays capitalistes deux tendances opposées par rapport aux deux facteurs démographiques : le nombre des naissances et la mortalité. Le nombre des naissances a une tendance générale et constante à décroître. C'est ainsi qu'en Allemagne le nombre des naissances pour 1 000 habitants était de 40,7 pour la période allant de 1871 à 1880 ; de 38,2 pour la période allant de 1880 à 1890 ; de 37,3 entre 1891 et 1900 ; de 33,9 entre 1901 et 19 10 ; de 29,5 en 1911, et de 29,1 en 1912. Cette tendance apparaît encore plus clairement si l'on compare les pays capita­listes évolués avec les pays arriérés. En 1911 ou 1912 il y avait, pour 1 000 habitants, en Allemagne 28,3 naissances, en Angleterre 23,8, en Belgique 22,6, en France 19, au Portugal 39,5, en Bosnie-Herzégovine 40,3, en Bulgarie 40,6, en Roumanie 43,4, en Russie 46,8. Tous les statisticiens, les sociologues et les médecins interpréteront la faible natalité des pays développés industriellement par les effets de la vie dans les grandes villes, de la grande industrie, de l'insécurité de l'existence, de l'essor culturel, etc. Bref tous les phénomènes de la civilisation capitaliste.

 

Selon la prédominance de l'un ou de l'autre facteur, l'accroissement de la popu­lation est plus rapide ou plus lent. Mais en tout cas et à tous les égards, c'est l'évolu­tion du capitalisme, avec son cortège de phénomènes économiques, sociaux, physiques et moraux, c'est l'accumulation du capital qui influe sur l'accroissement de la population et le déter­mine, et non l'inverse. En outre on constate généralement que l'influence de l'évolu­tion capitaliste sur le mouvement de la population se manifeste à plus ou moins long terme par un ralentissement de la croissance de la population. Hong Kong et Bornéo en face de l'Allemagne et de l'Angleterre, la Serbie et la Roumanie en face de la France et de l'Italie : cette confrontation donne des résultats parlants.

 

La conclusion s'impose : la théorie de Bauer renverse les rapports réels. En pré­ten­dant dans ses schémas adapter l'accumulation du capital à l'accroissement naturel de la population, Bauer néglige une fois de plus la réalité quotidienne et méconnaît un fait universellement connu : à savoir que le capital modèle au contraire la population à sa mesure : tantôt il l'extermine massivement, tantôt il accélère ou ralentit sa crois­sance, le résultat final étant le suivant : plus l'accumulation est rapide, plus l'accrois­se­ment de la population est lent.

Tag(s) : #Colonialisme. Rosa Luxemburg, #Impérialisme. Rosa Luxemburg