Impérialisme
Un terme, deux usages
L'usage du mot révèle en réalité deux sens très différents. Dans son usage générique, « impérialisme » désigne simplement toute politique de conquête en vue de construire un empire.
Dans son usage plus théorique (marxiste), le concept est au cœur d'une interprétation gobale du monde capitaliste contemporain, de ses conflits et de ses tendances structurelles.
1. Impérialisme et empires dans l'histoire
Par définition, on entend par empire toute unité politique construite autour d'un pôle conquérant et rassemblant sous sa domination des peuples jusque-là indépendants ou de composition ethnique différente.
On parle ainsi d'empires égyptien, assyrien, macédonien, romain, chinois, mongol, russe, etc. Par-delà la diversité des temps, des lieux et des civilisations, ces empires présentent quelques traits communs. Fondée sur la conquête, leur assise est fondamentalement militaire, c'est-à-dire que l'élite dirigeante est, du moins à ses débuts, avant tout composée de guerriers.
Du fait de la nécessité d'administrer de vastes espaces et des peuples divers, la stabilisation qui suit la conquête tend à développer une bureaucratie d'État : des lettrés s'agrègent à l'élite dirigeante.
Enfin, l'expérience prouve que les peuples conquis ne perdent jamais le souvenir de leur indépendance ni de la violence qui leur a été faite : dès que le conquérant s'affaiblit ou relâche sa vigilance, des insurrections explosent ; il peut même arriver que l'empire se désintègre purement et simplement (empires mésopotamiens, Empire romain d'Occident, empires carolingien, mongol, ottoman, etc.). L'empire constitue ainsi un ensemble politique instable, sans cesse guetté par les convoitises extérieures, les menaces de sécession et les courants centrifuges.
Si l'impérialisme, ainsi entendu, est d'abord la projection vers l'extérieur de la puissance et de la volonté de puissance d'une entité politique, il représente aussi un des facteurs les plus puissants du changement historique. Par la conquête, il détruit des modes de vie et des organisations sociales, et, pour peu que le modèle qu'il propose soit tentant, il ouvre une immense carrière à la civilisation dont il se réclame.
Alexandre le Grand a étendu l'hellénisme à l'ensemble du bassin oriental de la Méditerranée et au Proche-Orient jusqu'à l'Indus ; Rome l'a porté dans le bassin occidental, lui a acquis une partie de l'Europe jusqu'à l'Écosse, jusqu'au Rhin et au Danube.
De même, l'expansion coloniale européenne à partir du xvie s., et surtout au xixe s., a étendu le modèle européen de civilisation à l'ensemble de la planète. Il arrive, par conséquent, qu'un empire survive indéfiniment à sa dissolution, par l'intermédiaire des modèles qu'il continue à fournir à l'imitation des peuples jadis asservis.
Pour en savoir plus, voir l'article colonisation.
2. Impérialisme et capitalisme
Dans la tradition et la critique marxistes s'est développée une théorie aux ramifications multiples, qui se veut interprétation globale du capitalisme et de l'histoire contemporaine. À vrai dire, il convient de distinguer entre deux versions, substantiellement différentes, de la théorie, l'une née avant 1914 et l'autre développée à partir de 1945.
À l'initiative de l'Anglais John Atkinson Hobson (l'Impérialisme, 1902) relayé par Rudolf Hilferding (le Capital financier, 1912), Rosa Luxemburg (l'Accumulation du capital, 1913) et Lénine (Impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916), auxquels il faut ajouter Nikolaï Boukharine (l'Impérialisme et l'Accumulation du capital, 1913), l'approche se présente comme une tentative pour résoudre les difficultés théoriques nées de l'insuffisance des prévisions marxistes concernant le fonctionnement du capitalisme.
Pour Marx, du moins selon certaines interprétations, le système capitaliste souffrait de deux vices insurmontables de fonctionnement.
D'une part, la logique du système tend à remplacer peu à peu le travail humain par des machines et à rejeter hors du système une fraction croissante des travailleurs ; de ce fait, par les nécessités de ses mécanismes, le système capitaliste tend à produire une minorité de plus en plus riche et une majorité de plus en plus pauvre. C'est la thèse de la paupérisation, dont les révolutionnaires pensaient qu'elle amènerait inéluctablement un soulèvement des masses appauvries et la destruction du capitalisme au profit du socialisme.
D'autre part, le capitalisme était condamné à terme pour des raisons économiques intrinsèques renvoyant à la « baisse tendancielle du taux de profit » (→ Marx). Selon cette interprétation, le système se trouvait condamné à terme aussi bien parce qu'il produisait toujours plus de misère pour les pauvres et moins de richesse pour les riches. Or, les faits, à la fin du xixe siècle, ne répondaient pas aux prévisions : le niveau de vie des travailleurs augmentait incontestablement, et les profits se maintenaient. Cette situation paradoxale requérait une nouvelle élaboration théorique.
Les uns, théoriciens de la social-démocratie – le plus célèbre fut l'Allemand Eduard Bernstein – pensaient que l'interprétation catastrophiste du capitalisme était tout simplement fausse et qu'il convenait de mettre à profit les mécanismes parlementaires et légaux pour parvenir au pouvoir et injecter dans le système social des doses progressives de socialisme.
Les autres, maintenant le projet révolutionnaire, se devaient de résoudre la difficulté sur d'autres bases théoriques. Cette réponse constitue, en propre, la théorie de l'impérialisme.
On pouvait, en effet, résoudre la difficulté en tenant compte de deux faits majeurs. D'une part, le xixe siècle est caractérisé par une nouvelle et décisive expansion des Européens hors d'Europe, par la grande vague de colonisation, qui trouve sa consécration à la conférence de Berlin de 1884-1885.
D'autre part – en conformité avec les indications de Marx –, on assistait à une concentration du capital entre les mains des banquiers. La solution consistait à lier les deux phénomènes. Il suffisait de montrer que l'extension constante du capital bancaire dégageait en permanence des surplus disponibles et que les pays de vieux capitalisme ne pouvaient plus les absorber ; que l'expansion coloniale permettait au capitalisme de trouver un second souffle en lui procurant de nouvelles occasions d'investir, d'acheter des matières premières et d'écouler des produits finis.
Ainsi, la première version de la théorie de l'impérialisme est simultanément une théorie de la concentration du capital et de l'expansion coloniale.
Pour en savoir plus, voir l'article colonisation.
Sur quoi vient se greffer un troisième aspect. Du fait que l'expansion coloniale est la seule issue qui reste au capitalisme s'il veut survivre, il est vital pour chaque pays de se doter d'une sphère économique extérieure. Or, le monde est fini, si bien que la part de chacun est prise sur celle des autres. Un partage du monde entre les puissances capitalistes est donc nécessaire. Selon quel principe ? Celui de la force.
À chaque moment, le partage du monde reflète le rapport des forces entre puissances capitalistes. Or, ce rapport des forces est nécessairement instable, tel pays pouvant connaître un essor plus rapide, tel autre entrer en décadence, un troisième apparaître sur la scène après que le premier partage a été réalisé. Il est donc inéluctable que de temps à autre un nouveau partage du monde intervienne, plus conforme aux données présentes du rapport des forces. Et cette nouvelle « donne » ne pourra se faire par négociations et compromis : elle se fera selon la sentence des armes.
Ainsi, la théorie de l'impérialisme, « stade suprême du capitalisme » (Lénine), débouche sur une théorie de la guerre entre puissances capitalistes.
L'impérialisme, qui se voulait solution des contradictions du capitalisme, n'est qu'un palliatif provisoire. Bien plus, il introduit de nouvelles contradictions.
Les profits en provenance des colonies ont permis d'arrêter la paupérisation des masses métropolitaines, en leur donnant quelques miettes en pâture, mais cette échappatoire n'aura qu'un temps, car les peuples colonisés se soulèveront. Les investissements et les marchés coloniaux permettent de maintenir les profits, mais au prix de guerres générales récurrentes. C'est ici que gît la contradiction suprême, car les peuples, exaspérés et épuisés par la guerre, se rebelleront, et la révolution sera à l'ordre du jour, par un biais qui n'avait pas été prévu.
Lénine, dans son génie de politicien, fut le plus prompt à saisir les possibilités stratégiques et tactiques que l'état de guerre pouvait offrir dans une société comme la Russie, « maillon le plus faible » de la chaîne des États impérialistes. De fait, la guerre va frapper à mort le régime tsariste et ouvrir la voie à la révolution bolchevique (→ révolution russe de 1917).
Selon les auteurs, tel ou tel point de la théorie se trouve plus ou moins valorisé. Rudolf Hilferding insiste surtout sur la concentration des capitaux et le remplacement du capital industriel par le capital financier, c'est-à-dire la victoire des banquiers sur les entrepreneurs. Rosa Luxemburg montre que le capitalisme ne peut grandir sans dégager, à la fin de chaque exercice, un surplus qui doit être exporté parce qu'il ne peut pas trouver preneur sur le marché intérieur. Trotski insiste longuement sur la contradiction entre les forces de production, dont le niveau suppose une extension planétaire, et les rapports de production, étriqués dans leur cadre national : cette contradiction ne peut susciter que les crises et le sous-emploi systématique des capacités productives de la société. Quant à Karl Kautsky, qualifié de « renégat » par Lénine, il propose, alors même qu'éclate la Première Guerre mondiale, le terme d’« ultra-impérialisme » pour désigner une nouvelle phase du capitalisme fondée sur une entente internationale mais pacifique entre cartels.
Le monde issu de la Seconde Guerre mondiale a rendu indispensable d'introduire des modifications substantielles dans ce schéma général.
Le système diplomatico-stratégique qui en est issu, organisé en fonction de deux pôles antagonistes – l'Ouest, autour des États-Unis, et l'Est, autour de l'URSS –, a rendu improbable un conflit entre les pays constituant le « camp impérialiste » ; or, si l'on ne peut plus prédire des guerres entre les États-Unis, l'Allemagne, l'Angleterre, la France, un élément essentiel de la théorie s'effondre. L'après-guerre a connu une dissolution rapide des empires coloniaux, mais les métropoles n'ont pas engagé à défendre leurs possessions l'énergie que l'on eût attendu d'elles s'il s'était agi d'une question de vie ou de mort. Bien plus, l'Occident a connu deux décennies de croissance économique accélérée et continue, hormis quelques récessions passagères et superficielles. Enfin, il est pour le moins paradoxal d'accorder un brevet d'anti-impérialisme au premier pays socialiste, l'URSS, qui, au lendemain du conflit, élargit sa sphère d'influence, même si ce nouvel « empire » est d'une tout autre nature.
Il est donc devenu difficile d'interpréter le système international à l'aide du schéma antérieur ; il ne pouvait rendre compte de sa structure bipolaire et, depuis un certain temps, multipolaire avec l'accession du Japon, de l'Europe et de la Chine, au rang de parties prenantes indépendantes au jeu international.
Ces circonstances nouvelles ont entraîné non pas l'abandon de la théorie, mais son aménagement selon des modalités diverses.
Les uns s'attachent au seul élément traditionnel qui tienne encore, à savoir la concentration du capitalisme. De fait, les capitaux nécessaires à l'édification d'une entreprise n'ont cessé de croître, ainsi que le marché nécessaire pour rentabiliser la production. D'où l'apparition d'entreprises géantes, qui essaiment des filiales à travers le monde. On parle de monopoles ou de « capitalisme monopoliste » (selon la formule des économistes américains Paul Baran et Paul Sweezy, 1966).
Dans un deuxième temps, on montre que ces monopoles, pour défendre leurs intérêts, investissent les pouvoirs publics et s'entendent avec les autorités militaires : ils finissent par dominer entièrement les rouages de l'État et par dicter leur volonté. Autrement dit, cette version de la théorie contemporaine de l'impérialisme tente d'expliquer la politique du monde occidental, celle notamment des États-Unis, par les intérêts des capitalistes. Elle culmine dans la dénonciation du « complexe militaro-industriel », c'est-à-dire de la liaison intime entre les visées militaires et les intérêts de l'industrie des armements
Il convient de remarquer le retournement complet effectué par la théorie depuis ses origines. Le centre de gravité de l'histoire était situé en Occident et la classe ouvrière occidentale était porteuse de l'avenir ; il se trouve maintenant que le centre de gravité est déplacé en Asie, en Afrique, en Amérique latine, et c'est à leurs masses qu'est confié le soin d'instaurer un monde meilleur.
L’apparition de ce « tiers-monde » a donné alors naissance à de nouvelles analyses d’inspiration marxiste de l’expansion capitaliste, dont les théories du développement inégal et de la dépendance. De l’œuvre pionnière d’Arghiri Emmanuel (l’Échange inégal, 1969) à celles de Samir Amin, elles mettent en avant les déséquilibres économiques structurels – notamment les écarts de salaires sur lesquels insiste A. Emmanuel – et les mécanismes de domination propres aux relations entre le ou les centres (représentés par les anciennes puissances coloniales et les États-Unis) et la ou les périphéries (la plupart des pays du tiers-monde).
Pour en savoir plus, voir les articles sous-développement, tiers-monde.
On notera que les avatars de la théorie de l'impérialisme sont tributaires des avatars du système international. La première formulation s'accordait à un système dominé par l'Europe occidentale ; la deuxième se modelait tant bien que mal sur le monde bipolaire issu de la Seconde Guerre mondiale. Avec la disparition du duopole américano-soviétique, puis la montée de nouveaux blocs économiques et financiers (Asie du Sud-Est) et de nouvelles puissances émergentes – Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud –, qui sont autant de nouveaux « centres », le concept d’impérialisme tend à être supplanté par celui de mondialisation ou à être repensé dans le cadre de celle-ci sans disparaître pour autant.
Pour en savoir plus, voir l'article mondialisation
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/imp%C3%A9rialisme/60167
Colonialisme
Système qui préconise l'établissement et le développement de pays dépendants considérés comme sources de richesse et de puissance pour la nation colonisatrice.
Introduction
L'histoire du colonialisme remonte fort loin ; l'Antiquité nous offre ainsi de nombreux exemples d'exploitation et de domination d'une société par une autre. C'est cependant l'expansion européenne du xixe s. qui donna au phénomène une ampleur et une aire d'extension jamais connues jusqu'alors. Une démarche sociologique renvoie la notion de colonialisme à trois phénomènes distincts et successifs : la situation coloniale, la décolonisation et la situation néocoloniale.
La situation coloniale

Le fait colonial correspond à une étape en grande partie dépassée maintenant à la suite du processus de décolonisation et de la dénonciation des formes de colonialisme qui en résulta. Cependant, l'utilisation polémique du terme ne doit pas cacher une réalité actuelle qui englobe de nouvelles formes de domination dans la situation néocoloniale.
Trois forces conjuguées concoururent à l'établissement de la domination coloniale : les actions militaires et administratives, les entreprises économiques et les visées missionnaires.
Une des principales causes de transformation fut d'abord l'ordre et l'unité que faisaient régner sur les territoires conquis les forces militaires étrangères, ainsi que l'ouverture de pistes et l'implantation d'une structure administrative. Cela permit le développement des entreprises privées, celui des compagnies commerciales et l'implantation des colons isolés. Au niveau des populations autochtones, les prélèvements d'impôts obligèrent les paysans à rechercher des liquidités et les incitèrent à pratiquer de nouvelles cultures destinées à l'exportation. L'administration se révéla ainsi l'instrument de domination de la société étrangère. L'implantation militaire et administrative prépara et accompagna d'autres types d'action plus directement économiques.
La politique d'expansion coloniale répondait aussi à des motifs d'ordre économique. La mise en valeur du pays colonisé explique les exactions qui sont alors pratiquées, de l'expropriation des terres au travail forcé. Les recrutements coercitifs de main d'œuvre jalonnent l'histoire coloniale ; si l'on prend l'exemple de la colonisation française, ils sont pratiqués en Afrique équatoriale pour la construction du chemin de fer Congo-Océan, au Mali (alors Soudan français) par l'Office du Niger, et en Côte d'Ivoire par l'administration au profit de particuliers, afin de favoriser le développement de l'économie de plantation. Les formes prises par le commerce d'import-export dans les villes côtières, l'exploitation à grande échelle des territoires à partir d'un médiocre équipement industriel, la pauvreté des masses autochtones caractérisent la situation économique et sociale de cette époque.
L'action missionnaire, si elle diffère dans ses buts explicites des deux autres, est néanmoins structurellement liée à celles-ci. Elle est perçue par les populations dominées comme un prolongement (ou une annonce) de l'action coloniale. Elle participe directement par les valeurs qu'elle véhicule à la destruction de la société traditionnelle et précipite ainsi la crise de la société colonisée dans son ensemble.
Le peu de souci pour les cultures autochtones et au contraire les préoccupations nées des nécessités qu'affrontent les pays européens à la conquête de nouveaux territoires aboutissent à un découpage artificiel des sociétés sous administration coloniale. Le phénomène est particulièrement net en Afrique occidentale, où d'une part des peuples qui étaient séparés par l'histoire précoloniale ont été amenés à coexister (en Côte d'Ivoire par exemple, où l'on retrouve des représentants des groupes krous à l'ouest, akans à l'est, mandingues au nord), et où d'autre part des ethnies ont été divisées par les frontières de la colonisation (situation des Ewés, partagés entre le Togo et le Ghana).
La situation coloniale est fondée sur un système de rapports complexes entre la société colonisée et la société colonisante qui concourent à la domination de celle-là par celle-ci à tous les niveaux. À l'époque classique du colonialisme, les territoires occupés forment des sociétés composites et hiérarchisées. Un cadre politique unique est imposé à des populations d'origines culturelles souvent fort différentes. Au sommet de cette hiérarchie, on trouve une minorité dominante, étrangère à la société dominée et originaire du pays colonisateur. Elle assoit sa domination sur sa supériorité matérielle, sur l'exercice du pouvoir, sur la détention de la force et sur la reconnaissance internationale. Cette minorité, issue de milieux sociaux divers (la colonie est souvent un microcosme appauvri de la société d'origine), se constitue en caste sûre de ses droits et de sa supériorité. Elle pratique une politique de ségrégation raciale qui vise à réduire au minimum le contact avec la masse des colonisés. La ségrégation, maintenue par la force, se concrétise dans l'espace par la séparation de la ville blanche des quartiers populaires indigènes. Le plan des anciennes villes coloniales d'Afrique en témoigne directement avec leur ceinture de casernes à la périphérie de la ville coloniale.
En même temps qu'elle applique d'une façon très stricte cette ségrégation, la puissance coloniale propose, comme seul modèle culturel acceptable, le sien propre, et, comme seule perspective d'évolution (avec des modalités certes différentes suivant que le colonisateur est anglais, français ou portugais), l'assimilation.
Cette domination tient sa légitimité de motifs empruntés plus ou moins explicitement au racisme. Les inégalités relatives entre les membres du groupe dominant (responsables publics et privés de la colonie et « petits blancs ») sont masquées par la supériorité absolue qu'affirme chacun des membres de la « colonie » vis-à-vis de la population locale. La société colonisée est d'ailleurs très souvent divisée ethniquement, économiquement, socialement (opposition ville-campagne, classes sociales naissantes) et spirituellement (en Afrique, par exemple, confrontation des religions traditionnelles avec l'islam et le christianisme, dont la situation coloniale favorise la diffusion). Enfin, la stratégie de l'administration coloniale bouleverse les données du pouvoir traditionnel en favorisant des individus qui n'auraient pas pu prétendre autrement au pouvoir et en fractionnant les niveaux de responsabilité (ainsi, dualité dans l'ex-Afrique Occidentale Française des chefs de village et des chefs de canton).
Les conflits inéluctables qu'entraîne une telle situation sont en partie épongés par les groupes sociaux intermédiaires qui s'intercalent entre les colonisateurs et les colonisés : le transfert de l'hostilité de ceux-ci se fait souvent sur ces minorités tampons. C'est le cas en Afrique tropicale des Syro-Libanais et, sur un plan plus général, des métis. Ces éléments, qui ne peuvent s'identifier ni au groupe dominant ni au groupe dominé, sont en butte à l'hostilité et au mépris de tous.
On conçoit dès lors l'état de crise permanente que recèle la situation coloniale. Au racisme du colonisateur répond un racisme induit entre ethnies différentes. La société traditionnelle s'altère, certains groupements et certaines institutions disparaissent. Les réactions pathologiques, la crise des rapports humains sont autant de preuves du « désajustement » au niveau des individus. Les réponses extrêmes à cette situation sont la fuite dans les messianismes d'un côté et les révoltes violentes de l'autre. Les recherches de dépassement des problèmes de la société colonisée passent toutes par la quête plus ou moins farouche de son indépendance ...