Histoire de la France coloniale. Des origines à 1914. Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Goldzeiguer, Jacques Thobie. P 735 - 736
Le Maroc : une manière de couronnement
Du point de vue du parti colonial, la possession du Maroc représente le point d’orgue de la partition coloniale française avant la Grande Guerre.
La question marocaine présente des similitudes indiscutables avec le cas tunisien. Il s’agit d’un pays situé dans une région proche de l’Europe, le Maghreb, économiquement peu développée, qui doit faire face à de graves difficultés intérieures et constitue ainsi un objectif tout désigné à l’intervention des puissances industrielles. La proximité de l’Algérie offre l’opportunité, à travers la traditionnelle question de la « sécurité des confins », d’interventions militaires ponctuelles, prélude à une nouvelle occupation permanente. Tirant parti de la situation intérieure marocaine, les intérêts financiers, industriels et commerciaux français se développent et confirment la dépendance marocaine. Enfin, comme pour la Tunisie, il y a nécessité pour la diplomatie française, dans le contexte des vicissitudes conflictuelles qui président au partage du monde, de désintéresser par des marchandages aussi avantageux que possibles, les puissances qui pourraient s’opposer aux ambitions françaises au Maroc.
Mais l’analogie s’arrête à ces remarques. En effet, dans l’évolution concrète du cas marocain, l’intensité des deux paramètres l’apparente plus au cas ottoman qu’au cas tunisien. C’est d’abord l’ampleur et l’âpreté de l’action des groupes industriels et financiers. Un quart de siècle de sensibles évolutions du capitalisme français sépare le protectorat tunisien des crises marocaines. De plus, les perspectives de profits offertes par ce pays étendu, relativement peuplé, largement ouvert sur l’Atlantique et dont les richesses minérales, connues ou supposées, sont jugées comme importantes, paraissent confortables. La deuxième spécificité du cas marocain tient dans l’intime conjonction et la cordiale connivence entre les « grandes affaires » et la diplomatie française dans l’empire chérifien. Cela, certes, ne va pas sans difficultés, et la situation, dans sa complexité, implique des choix. C’est précisément à travers ces choix que se révèlent les caractéristiques de la colonisation impérialiste française au Maroc.
La continuité de dessein des groupes français dans l’implantation financière et industrielle au Maroc doit naturellement coexister avec certaines évolutions diplomatiques plus contrastées imposées par les rapports de force internationaux. A travers cette imbrication économico-politique, il est possible de distinguer trois périodes : la première va de 1900 à 1905, durant laquelle se mettent en place tous les éléments de l’évolution ultérieure, en privilégiant une solution à la tunisienne, un protectorat français ; la seconde va de 1906 à 1911, où s’esquisse une solution de type association internationale à prépondérance française ; enfin la crise de 1911 et sa résolution marquant l'abandon de cette tentative et parachève, moyennant marchandage, l’évolution antérieure à 1906.