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Armée de métier - armée de conscription. Lire l'historique en France dans cet article.

Citation :

L'instauration progressive, sous la IIIe République, de 1872 à 1905, d'un service militaire obligatoire pour tous résout un certain nombre de problèmes posés par le recrutement de l'armée et notamment la formation de réserves instruites dont l'absence constitua une des faiblesses majeures de l'armée de «vieux soldats» du Second Empire. Mais elle en soulève très rapidement un autre qui demeure fort actuel : peut-on envoyer systématiquement des régiments d'appelés guerroyer hors de France ? Jean Charles Jauffret a bien montré dans sa thèse Parlement, gouvernement, commandement, l'armée de métier sous la IIIe République combien la notion d'armée de métier ne disparaît pas des débats parlementaires entre 1872 et 1914 : la constitution d'unités entièrement professionnalisées est envisagée de manière épisodique. Ce fut parfois pour disposer de solides unités de couverture assurant la sécurité des frontières et la protection de la mobilisation. Ce fut surtout dans le cadre de l'expansion coloniale.

Les régiments d'infanterie et d'artillerie de marine, alors sous l'autorité de la Marine, comptaient avant 1870 de nombreux engagés et remplaçants. La suppression du remplacement provoque un tarissement important de leur recrutement. Et il faut bien constater que dans les premières années de la IIIe République ces unités comptent une majorité de soldats issus du contingent. Les engagements et rengagements ne permettent pas, au plus fort de la conquête coloniale (les années 80) aux troupes de marine d'assurer leur mission, la formation de corps expéditionnaires importants (Tonkin, Madagascar notamment). Elles doivent donc être renforcées par la Légion étrangère, portée à 2 régiments en 1885, «la bonne à tout faire», mais aussi par des régiments de ligne métropolitains et par l'armée d'Afrique (c'est- à-dire les unités d'Afrique du Nord dont les régiments de tirailleurs algériens et bientôt tunisiens s'étoffent). Malgré cet apport d'engagés de toutes origines (légionnaires, tirailleurs d'AFN et sénégalais, métropolitains), des appelés du contingent participent donc à ces opérations. C'est leur présence outre mer, dans des régions insalubres et dans des combats parfois sanglants, qui provoque un très long débat politique, ouvert dès 1881 par un député opportuniste déposant une proposition de loi réclamant des régiments de métier pour l'outre mer jusqu'au vote de la loi cadre du 7 juillet 1900. Celle-ci crée l'armée coloniale, c'est-à-dire qu'elle place désormais sous l'autorité du ministre de la guerre, les régiments d'infanterie et d'artillerie de marine devenus régiments coloniaux (RIC et RAC). Leurs garnisons sont réparties en métropole et dans l'Empire (à l'exclusion de l'Afrique du Nord). Ils ne sont pas professionalisés et sont composés d'appelés et d'engagés. Mais les appelés sont affectés exclusivement dans les garnisons métropolitaines, le service outremer étant réservé aux engagés et aux appelés volontaires.

Une fausse alternative. Armée de métier - armée de conscription

https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1992_num_29_1_405017

Matériaux pour l'histoire de notre temps Année 1992 29 pp. 3-4 Fait partie d'un numéro thématique : Faire et refaire les armées - Penser et repenser les défenses 

Les débats sur le recrutement de l'armée française ont repris depuis quelques années et tendent à s'articuler autour d'une opposition tranchée entre deux systèmes : armée de professionnels ou armée d'appelés. C'est un débat théologique qui ne pose pas le vrai problème, tel qu'il apparaît à travers une lecture de plus de deux siècles d'histoire de France : «la nation française peut-elle fournir le flux d'engagés nécessaire à une armée de métier ?».

On feint souvent de croire qu'avant l'institution d'un service militaire obligatoire pour tous, la France a disposé d'une armée de métier - exception faite de l'épisode révolutionnaire et impérial. Il faut y voir de plus près.

En instituant, à partir de 1688, la milice royale, Louis XIV et Louvois s'efforcent de résoudre un problème du temps de crise : comment disposer de forces auxiliaires à l'armée et de réserves de recrues ? Célibataires et mariés sans enfant (mais il y a de nombreux cas d'exemption) sont désormais soumis à un tirage au sort : ceux qui ont tiré un mauvais numéro deviennent miliciens. Dissoute à chaque retour de la paix, la milice est reconstituée en 1726. Ses compagnies (ses régiments provinciaux à partir de 1 771 ) sont rassemblées quelques jours par an en temps de paix ; en temps de guerre, elles forment des bataillons qui relèvent les troupes réglées dans les garnisons des frontières ou comblent les vides des régiments. Pendant la guerre de succession d'Espagne, les bataillons de milices sont directement adjoints à ceux de régiments en sous-effectifs, si bien que les miliciens pendant cette guerre constituent 46 % des soldats combattant dans les unités françaises. Certes, comme l'a montré A. Corvisier, la proportion a décru au cours des guerres ultérieures pour n'atteindre que 20 % pendant la guerre de Sept Ans. C'est néanmoins encore un chiffre significatif pour compléter une armée de métier qui, rappelons-le, compte également 1 5 % d'étrangers dans ses rangs.

La suppression de la milice était une des revendications des cahiers de doléances. Est-ce une explication au refus exprimé par la majorité des députés de la Constituante et de la Législative, de légiférer sur l'adoption d'un serice militaire pour tous ? : «Tout citoyen doit être soldat, et tout soldat citoyen» avait proposé Dubois Crancé en décembre 1789, sous les huées de ses collègues.

Le recrutement des hommes pour compléter les effectifs d'une armée royale dépérissante se fera par engagements volontaires et surtout par la constitution de bataillons de volontaires nationaux, engagés pour un an. Les volontaires de 91, puis de 92 vont rejoindre les régiments de ligne dès la déclaration de guerre. A Valmy, les bataillons de volontaires de 91 complètent l'armée de Kellermann sur la butte. Mais après un an de bons et loyaux services, ils regagnent en majorité leurs foyers, malgré l'appel de la Convention : "Citoyens soldats, la loi vous permet de vous retirer ; le cri de la Patrie vous le défend". Pour recompléter puis augmenter les effectifs que nécessitait la situation extérieure, il fallut faire une levée de 300 000 hommes. On ne devait recruter que des volontaires, mais à défaut - ce qui fut l'amère réalité - chaque commune devait compléter son contingent par le moyen "le plus convenable». Volontaires ? Plutôt requis.

Aussi les levées successives avaient montré les limites de l'appel au volontariat. La crise de l'été 1 793 fit envisager une levée en masse qui se réduisit le 23 août 1793 à la réquisition de tous les jeunes gens de 18 à 25 ans, mais sans en prévoir le remplacement progressif par des classes plus jeunes. Il fallut attendre encore cinq ans et la loi Jourdan (1798) pour instaurer une véritable conscription. Le système, modulé par le tirage au sort - chaque contingent annuel dépassant les besoins - et le remplacement, fournira tous les effectifs exigés par les armées consulaires et impériales. Le faible nombre des engagés (52 000 pour toute l'époque impériale) est à noter.

Un article de la Charte de 1814 a été particulièrement bien accueilli, l'article 12 : «La conscription est abolie». Quatre ans plus tard, la loi Gouvion Saint Cyr sur le recrutement de l'armée est beaucoup moins catégorique : «L'armée se recrute par des engagements volontaires et, en cas d'insuffisance, par des appels...». Appel est le terme pudique pour éviter d'employer le nom de conscription. En quatre ans, il a été démontré que même pour mettre sur pied une petite armée du temps de paix, le nombre des engagements volontaires était insuffisant. L'expédition d'Espagne en 1823 confirme l'extrême difficulté de mettre sur pied un corps expéditionnaire; aussi le contingent annuel d'appelés passe-t-il de 40 000 à 60 000 hommes et la durée du service de 6 à 8 ans.

Le maréchal Soult a pris conscience de cette réalité quand il fait voter en 1 832 une loi de recrutement où il inverse l'ordre de priorité de la loi de 1818 : «l'armée se recrute par appels et par engagements volontaires». Avec de légères modifications apportées sous le Second Empire, la loi reste en vigueur jusqu'à la guerre de 1870 : six ans de service, tirage au sort et remplacement. L'accroissement progressif du volume des effectifs du temps de paix (200 000 en 1 81 8, 400 000 en 1 868) oblige à faire passer le nombre des appelés par classe de 40 000 à 1 00 000, avec des pointes à 140 000 lors des guerres de Crimée et d'Italie. La prétendue armée de métier du XIXe siècle est en réalité une armée de conscrits effectuant un service long, dans laquelle les engagés ne constituent, sur toute la période que 12 à 19 % du contingent annuel. Mais, peut-on objecter, les remplaçants (qui sur la période 1818-1871 constituent 25 % des effectifs, sous-officiers et soldats recrutés par voie d'appel) ne peuvent-ils être assimilés à des engagés (pour raison économique) ? On peut en discuter, mais l'interrogation soulève un autre problème très réei : depuis 1815, aucune prime d'engagement, même modique, n'est versée aux engagés volontaires. C'est une dépense que ne prévoit aucun budget de la Guerre. Les primes de remplacement ou d'exonération quant à elles ne sont pas supportées par le budget de l'Etat puisqu'elles sont à la charge des familles des remplacés. C'est une manière efficace de résoudre le problème du financement coûteux d'une armée à service long !

 

L'instauration progressive, sous la IIIe République, de 1872 à 1905, d'un service militaire obligatoire pour tous résout un certain nombre de problèmes posés par le recrutement de l'armée et notamment la formation de réserves instruites dont l'absence constitua une des faiblesses majeures de l'armée de «vieux soldats» du Second Empire. Mais elle en soulève très rapidement un autre qui demeure fort actuel : peut-on envoyer systématiquement des régiments d'appelés guerroyer hors de France ? Jean Charles Jauffret a bien montré dans sa thèse Parlement, gouvernement, commandement, l'armée de métier sous la IIIe République combien la notion d'armée de métier ne disparaît pas des débats parlementaires entre 1872 et 1914 : la constitution d'unités entièrement professionnalisées est envisagée de manière épisodique. Ce fut parfois pour disposer de solides unités de couverture assurant la sécurité des frontières et la protection de la mobilisation. Ce fut surtout dans le cadre de l'expansion coloniale.

Les régiments d'infanterie et d'artillerie de marine, alors sous l'autorité de la Marine, comptaient avant 1870 de nombreux engagés et remplaçants. La suppression du remplacement provoque un tarissement important de leur recrutement. Et il faut bien constater que dans les premières années de la IIIe République ces unités comptent une majorité de soldats issus du contingent. Les engagements et rengagements ne permettent pas, au plus fort de la conquête coloniale (les années 80) aux troupes de marine d'assurer leur mission, la formation de corps expéditionnaires importants (Tonkin, Madagascar notamment). Elles doivent donc être renforcées par la Légion étrangère, portée à 2 régiments en 1885, «la bonne à tout faire», mais aussi par des régiments de ligne métropolitains et par l'armée d'Afrique (c'est- à-dire les unités d'Afrique du Nord dont les régiments de tirailleurs algériens et bientôt tunisiens s'étoffent). Malgré cet apport d'engagés de toutes origines (légionnaires, tirailleurs d'AFN et sénégalais, métropolitains), des appelés du contingent participent donc à ces opérations. C'est leur présence outre mer, dans des régions insalubres et dans des combats parfois sanglants, qui provoque un très long débat politique, ouvert dès 1881 par un député opportuniste déposant une proposition de loi réclamant des régiments de métier pour l'outre mer jusqu'au vote de la loi cadre du 7 juillet 1900. Celle-ci crée l'armée coloniale, c'est-à-dire qu'elle place désormais sous l'autorité du ministre de la guerre, les régiments d'infanterie et d'artillerie de marine devenus régiments coloniaux (RIC et RAC). Leurs garnisons sont réparties en métropole et dans l'Empire (à l'exclusion de l'Afrique du Nord). Ils ne sont pas professionalisés et sont composés d'appelés et d'engagés. Mais les appelés sont affectés exclusivement dans les garnisons métropolitaines, le service outremer étant réservé aux engagés et aux appelés volontaires.

Cette solution sera conservée pendant longtemps. La guerre d'Indochine en est la plus éclatante démonstration. Aucun appelé dans un corps expéditionnaire qui compte au plus fort des combats, sans compter les supplétifs, 175 000 hommes, tous de carrière ou engagés : 19 000 légionnaires, 30 000 tirailleurs nord-africains, 18 000 tirailleurs africains 53 000 Indochinois engagés dans l'armée française et... 54 800 Français (tous les officiers et sous officiers du corps expéditionnaire et les engagés volontaires pour l'Indochine).

Par contre, en 1956, le gouvernement Guy Mollet est autorisé à envoyer le contingent en Algérie parce que ce sont des départements français et qu'on n'y fait pas la guerre, n'y menant que des opérations de maintien de l'ordre...

La fin des guerres de décolonisation ramène l'armée dans l'hexagone et permet sa transformation autour de l'arme nucléaire. Les combattants des rizières et des djebels doivent laisser la place aux spécialistes, aux techniciens capables de maîtriser des technologies de plus en plus sophistiquées. C'est l'ère de la professionnalisation que le lieutenant-colonel de Gaulle avait déjà suggérée pour les équipages du corps blindé dont il rêvait en 1934. Simultanément la réduction des effectifs de l'armée de terre oblige à multiplier les exemptions du service national, la ressource en appelés étant désormais trop riche ; le service devient très inégalitaire. D'où la tentation de l'armée de métier.

Sans aborder ici les incidences budgétaires d'un éventuel abandon de la conscription (ce qu'a fait fort bien le député François Hollande), constatons à travers les propos du contrôleur général Cailleteau, que nous nous heurtons au même problème qu'au XIXe siècle quelles que soient les mutations de la société française: «Si le budget de l'armée de terre permet de disposer d'une centaine de milliers de militaires du rang de métier dans des conditions honorables de rémunération, la réalisation concrète d'un tel objectif se heurte à la réalité sociologique de l'engagement. Même avec un statut modernisé de l'engagé, même en faisant appel aux étrangers et aux femmes, on ne peut garantir l'existence de la ressource nécessaire». On a mesuré l'extrême précarité de cette situation lors de la guerre du Golfe. Le Président de la République ayant décidé, respectueux de la coutume, qu'aucun appelé ne participerait à ces opérations, la constitution de la division Daguet avec ses unités mécanisées et blindées a nécessité de ponctionner toutes les unités blindées métropolitaines de leurs spécialistes engagés. Aucune ne fut opérationnelle pendant tout le séjour de Daguet aux frontières de l'Irak.

On comprend mieux alors les réticences du ministre de la Défense Pierre Joxe à multiplier les interventions militaires dans le monde, si l'on constate, au début de janvier 1993, que près de 1 0 000 soldats français - en majorité des engagés rejoints par des appelés volontaires - participent aux opérations de maintien de l'ordre ou de protection de l'aide humanitaire : 4 800 en Yougoslavie, 1 435 au Cambodge, 2 400 en Somalie, 440 au Liban sud et près d'une centaine d'observateurs au Proche- Orient, au Salvador, au Koweit et au Sahara occidental. Nous sommes à la limite de l'effort, si les seuls personnels engagés participent à ces missions.

Un récent sondage montre que 48 % des Français sont partisans d'une solution de force en Bosnie. Une question subsidiaire n'a pas été posée: «Etes- vous partisan d'y faire participer le contingent ?».

Peut-on alors doubler le flux des engagements pour faire face aux missions extérieures sans hypothéquer la mission permanente de sécurité du territoire ? L'histoire de la France depuis deux siècles et la sociologie de la France contemporaine permettent d'en douter.

Général (CR) Jean DELMAS

Président de la Commission Française d'Histoire Militaire

Bibliographie

- Histoire militaire de la France, sous la direction d'A. Corvisier, t. Il : 1715-1871, sous la direction de J. Delmas, chapitre 1 7, Les Français et l'obligation militaire ; t. Ill: 1871-1940, sous la direction de G. Pédroncini, Paris, PUF, 1992.

- Bernard Boene et Michel Louis Martin (sous la direction de), Conscription et armée de métier, FEDN, 1 991 , 41 5 p.

- Jean Charles Jauffret, Parlement, gouvernement, commandement : l'armée de métier sous la troisième République 1871-1914, Service historique de l'Armée de terre - 2 tomes, 1988, 1 358 p.

Tag(s) : #Militarisme. Rosa Luxemburg
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