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1900. "Un résultat de la politique mondiale", article de Rosa Luxemburg sur les conséquences de la guerre contre les Boers

Écrit à chaud, l'article de Rosa Luxemburg est d'une grande pertinence. Elle y analyse les conséquences pour l'Angleterre de sa défaite dans la guerre du Transvaal. Elle place son analyse dans le cadre de la politique mondiale.

Citations

"Si l’Angleterre a pu s’accommoder si longtemps de cette armée de volontaires depuis longtemps dépassée, cela s’explique par sa position géographique.  L’essentiel de la puissance militaire anglaise reposait jusqu’à maintenant sur sa marine, et cela suffisait largement pour maintenir sa domination coloniale et sa position internationale."

"Un fait étonnant apparaît à cette occasion : l’Angleterre est amenée du fait de sa défaite en Afrique au même résultat que récemment les États-Unis après leur guerre victorieuse sur l’Espagne. La politique mondiale conduit dans toutes les situations et par tous les chemins au même but : le renforcement du militarisme."

"Ainsi, en ce moment, l’appétit de toutes les grandes puissances pour la politique mondiale les pousse, quelle que soit leur situation géographique, politique et économique vers le développement du militarisme sur terre comme sur mer – avec toutes les conséquences qui en découlent pour le développement intérieur de ces Etats."

"Nous sommes témoins de ce fait maintenant non pas de l’affaiblissement, de l'atténuation des luttes, mais de l’aggravation des antagonismes, de l’exacerbation des luttes à l’extérieur comme à l’intérieur des sociétés modernes. La défaite de l’Angleterre va sans aucun doute  et en premier atténuer fortement l’impérialisme anglais et sa politique antisociale. Mais une autre conséquence – nous ne pouvons nous y tromper – sera une nouvelle augmentation du militarisme et de la politique mondiale ..."

 

L'article

 

Un résultat de la politique mondiale

 

 Leipziger Volkszeitung, N°20, 25 janvier 1900

Gesammelte Werke, Dietz Verlag, P 676 - 678

Traduction Dominique Villaeys-Poirré, juillet 2018

Merci pour toute amélioration de la traduction

 

 

La défaite maintenant certaine des Anglais dans la guerre en Afrique du Sud entraînera sans aucun doute des transformations profondes de la situation politique mondiale, que l’on ne peut cependant à peine imaginer dans toute leur ampleur et qu’il serait de ce fait prématuré de citer. En ce qui concerne par exemple les relations internationales, il faut absolument attendre la fin du conflit et l’attitude qu’adoptera la Russie, pour pouvoir en évaluer avec certitude les résultats.

 

Seules quelques-unes des conséquences de la guerre du Transvaal apparaissent déjà maintenant de manière certaine, et ont déjà une importance mondiale suffisante, pour que  l’on puisse en tirer les enseignements, évidemment du point de vue des intérêts de l’évolution démocratique. L’une des conséquences certaines de la défaite anglaise pour l’Angleterre nous semble être l’inévitable réorganisation de son armée.

 

L’Angleterre est le dernier grand État qui a conservé jusqu’à aujourd’hui le système d’une armée de volontaires. Certes, cette armée est formée selon les principes modernes et certes il n’est pas exclu le moins du monde qu’une armée s’appuyant sur le service obligatoire aurait pu connaître dans la guerre actuelle contre les Boers – sur un sol étranger, dans des conditions géographiques défavorables - la même misérable débâcle. Cependant l’organisation actuelle de l’armée a contribué dans une grande mesure à la défaite anglaise et sans nul doute elle en sera rendu responsable.

 

Dès maintenant, la presse anglaise discute vivement de la question des reformes inévitables de l’armée. Mais ces réformes ne peuvent aller logiquement que dans la direction de l’instauration du  service militaire.  Si l’Angleterre a pu s’accommoder si longtemps de cette armée de volontaires depuis longtemps dépassée, cela s’explique par sa position géographique.  L’essentiel de la puissance militaire anglaise reposait jusqu’à maintenant sur sa marine, et cela suffisait largement pour maintenir sa domination coloniale et sa position internationale.

 

Le conflit avec la République des Boers, dans lequel elle s’était elle-même engagée du fait de ses appétits impérialistes, mettait pour la première fois à l’épreuve les forces armées anglaises sur terre. Après son échec, la transformation de l’armée pose pour l’Angleterre tout simplement la question de sa domination à venir en Afrique du Sud.

 

Non seulement cela. Mais se pose de manière encore plus menaçante la question de sa prédominance en Asie centrale. La Russie pense utiliser tout affaiblissement de la position dominante anglaise en Afrique pour les supplanter au bon moment en Asie centrale. C’est clair. La Russie spécule cependant, comme le dit souvent la presse russe officieuse, sur l’effondrement de l’armée terrestre anglaise. Le plan immédiat de la Russie est de la prendre par surprise, après la guerre perdue en Afrique du Sud, dans une guerre terrestre en Asie. La transformation fondamentale et appropriée de l’organisation militaire est donc maintenant pour l’Angleterre une tâche indispensable et d’ailleurs d’une grande urgence.

 

Un fait étonnant apparaît à cette occasion : l’Angleterre est amenée du fait de sa défaite en Afrique au même résultat que récemment les États-Unis après leur guerre victorieuse sur l’Espagne. La politique mondiale conduit dans toutes les situations et par tous les chemins au même but : le renforcement du militarisme. L’Union nord-américaine a entrepris, après avoir achevé ses conquêtes coloniales, elle aussi une réorganisation et le renforcement de ses forces terrestres ainsi que la création d’une flotte de guerre puissante. L’Angleterre, qui est déjà la première puissance militaire sur mer, se voit contrainte de s’armer pour devenir une puissance comparable sur terre. Enfin, l’Allemagne, qui est une puissance de premier rang sur terre, est amenée du fait de ses appétits impérialistes à créer sa première marine de guerre.

 

Ainsi, en ce moment, l’appétit de toutes les grandes puissances pour la politique mondiale les pousse, quelle que soit leur situation géographique, politique et économique vers le développement du militarisme sur terre comme sur mer – avec toutes les conséquences qui en découlent pour le développement intérieur de ces États.

 

Nous sommes témoins de ce fait maintenant non pas de l’affaiblissement, de l'atténuation des luttes, mais de l’aggravation des antagonismes, de l’exacerbation des luttes à l’extérieur comme à l’intérieur des sociétés modernes. La défaite de l’Angleterre va sans aucun doute  et en premier atténuer fortement l’impérialisme anglais et sa politique antisociale. Mais une autre conséquence – nous ne pouvons nous y tromper – sera une nouvelle augmentation du militarisme et de la politique mondiale avec une véhémence redoublée.

 

Certes, les conséquences réactionnaires de l’évolution du militarisme ne pourront pas empêcher dans ce cas de nouveau de rendre actuelles les conséquences révolutionnaires. Mais si en Angleterre, comme nous le croyons, la guerre sera suivie rapidement d’une réorganisation de l’armée d’après le modèle du continent, c’est-à-dire l’inauguration d’un militarisme moderne sur terre, cela ne préparera pas seulement efficacement à une évolution vers la milice, l’armée du peuple, telle que la souhaite la social-démocratie, mais entraînera un bouleversement des conditions sociales et politiques internes en Angleterre, qui conduira inévitablement le peuple prolétaire anglais vers la conscience révolutionnaire, vers une socialisation de la conscience de classe, vers son rapprochement de la social-démocratie du continent.

 

Et ce serait de fait le résultat positif le plus important de cet épisode actuel de la politique mondiale bourgeoise.

 

Tag(s) : #Militarisme. Rosa Luxemburg, #Impérialisme. Rosa Luxemburg
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