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1916. Karl Liebknecht s'interroge sur l'adhésion des prolétaires à la guerre et affirme : je ne reconnais aucune loi aucune interdiction même militaire qui contredise des devoirs politiques et sociaux, ni le commandement « Tue ton prochain !

Extrait d'une lettre à la Commandanture de Berlin. 10 juin 1916. Cette lettre fait partie des documents rassemblés par Karl Liebknecht sur le procès qui lui a été intenté suite à son arrestation lors de la manifestation du 1er mai 1916, organisé par le courant révolutionnaire au sein de la social-démocratie allemande. Elle est disponible  en français dans le remarquable volume publié chez Maspéro : militarisme, guerre, révolution en 1970. La lettre a été écrite après sa lecture de l'acte d'accusation : il y répond à la contestation que cette guerre soit impérialiste et corresponde à des buts de conquête allemand, en donnant de multiples exemples. Et à la célébration des soldats allemands dont le pouvoir vante la vaillance. Il termine cette lettre par une affirmation forte : Moi qui rejette fondamentalement la société de classes, la guerre et le militarisme, je ne reconnais aucune loi aucune interdiction même militaire qui contredise des devoirs politiques et sociaux, ni le commandement « Tue ton prochain ! »

 

" Et les racines de la vaillance, de l’"enthousiasme" des soldats prolétariens ?Absence de conscience de classe, c’est-à-dire fausse conception concernant leur situation dans le régime social actuel, fausses conceptions nourries par le système de tromperie, de mutilation intellectuelle, dont se servent les gouvernements et les classes dirigeantes et compréhension insuffisante de leur tâche historique : c’est là le facteur intellectuel ! Manque d’indépendance des masses maintenu artificiellement, intimidation au moyen d’une discipline draconienne, dont le but est, selon la recette frédéricienne, d’inspirer au soldat plus de peur de ses supérieurs que de l’ennemi, autrement dit « vaillance » par lâcheté, par peur ! « Vaillance » en tant que que choix du moindre mal ! Vaillance aussi parce que l’individu isolé se trouve au moment décisif en état de légitime défense. En outre, haine inculquée et brutalité soigneusement entretenue : c’est là le facteur moral ! Et chez un grand nombre de ceux qui se sont débarrassés de ces mérites intellectuels et moraux, l’erreur de croire que l’on peut arracher la paix par la victoire, une illusion qui, en dépit des propagandes les plus acharnées, après les expériences de la guerre se dissipent de plus en plus.

Oui, certes les prolétaires-soldats qui sont allés ou vont encore, « avec un grand élan » et « avec allégresse" à la mort, sont victimes d’une ignoble tromperie. Mais l’accusation prouve sur quelles bases fragiles repose cet « enthousiasme » tant vanté, dont le gouvernement et les classes dirigeantes peuvent à vrai dire être infiniment reconnaissantes et pour le maintien duquel le régime social actuel mérite la palme du machiavélisme. On n’ose soumettre les sentiments des masses, la discipline des troupes, à l’épreuve du feu socialiste !

L’accusation me reproche de « traiter d’une façon indigne des hommes « vaillants ». Parce que je les invite à secouer l’indignité de leur condition présente ! Parce que je dénonce impitoyablement les abus dont les dirigeants se rendent coupables à leur égard, l’avilissement dont ils sont victimes de la part des maîtres du suffrage à trois degrés ! Ce reproche de « traiter d’une façon indigne les soldats » est contenu dans un acte d’accusation dont le caractère essentiel est la défense du militarisme, c’est-à-dire d’un système qui est la négation même de toute dignité ; un système qui tend, par la violence, à transformer les « hommes vaillants » en machines aveugles, qu’on abreuve quotidiennement d’insultes, à qui l’on fait subir les pires brimades ; un système qui même maintenant, dans cette « guerre populaire », qui a pour but essentiel de pousser les prolétaires, dans l’intérêt du capitalisme et de l’absolutisme, à une lutte fratricide contre leurs camarades à l’étranger comme dans leur propre pays (l’ »ennemi intérieur ») ! Qui me reproche de traiter de façon indigne des « hommes vaillants » ? Le militarisme allemand, responsable plus que tout autre du sang versé par le peuple belge, responsables des millions de victimes de la guerre ; ce sont ces militaristes aux mains rouges du sang d’ouvriers allemand en grève.

 

J’en ai assez dit sur la légitimité de ceux qui s’indignent de mon activité « illégale », sur le caractère anticonstitutionnel de l’état de siège, sur les véritables traîtres.

Qui a violé la loi ? Qui a piétiné la Constitution ? Le gouvernement ! Les autorités militaires ! Ceux qui me poursuivent !

Qui porte la responsabilité de la colère des masses, des manifestations et des explosions de désespoir ? Les responsables de la guerre, de l’état de siège, de la misère politique et économique imposée au peuple ! Le gouvernement ! Ceux qui me poursuivent !

 

Espère-t-on que je m’allierai à l’impérialisme, ce rassemblement de toutes les forces hostiles au prolétariat ? Le droit élémentaire de la classe ouvrière à l’autodétermination, l’impératif de la lutte de classe et de la solidarité internationale l’emportent souverainement sur les privilèges arrogants des classes dirigeantes auxquelles le peuple est livré corps et âme.

Moi qui rejette fondamentalement la société de classes, la guerre et le militarisme, je ne reconnais aucune loi aucune interdiction, même militaire, qui contredise des devoirs politiques et sociaux, ni le commandement « Tue ton prochain ! ». Et pour cela j’ai de bien meilleurs raisons que n’en a la direction de l’armée allemande qui a fait de l’adage « nécessité fait loi » le principe de son action et a bafoué le droit des gens.

Je sais qu’en cela  je suis d’accord avec un nombre croissant de prolétaires tant sur le front qu’à l’arrière. Et si le chancelier a déclaré récemment qu’"après la guerre, le peuple règlera ses comptes avec ceux qui sont autour de Liebknecht", je suis assuré quant à moi que ce règlement de comptes se fera dans un tout autre sens – et, espérons-le, à fond et sans attendre la fin de la guerre

 

Artilleur Karl Liebknecht


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