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1907. Karl Liebknecht, Militarisme et antimilitarisme, brochure publiée en1907. (1) Source Maspéro.

1. MILITARISME ET ANTIMILITARISME (extraits de la brochure, 1907)

 

Essence et signification du militarisme

 

         Militarisme ! Il est peu de terme dont on fasse à notre époque un usage aussi fréquent et qui désigne quelque chose d’aussi complexe, divers et multiforme. Phénomène intéressant et important, tant par son caractère et son origine que par les moyens qu’il met en œuvre et ses conséquences profondément enraciné dans la nature même des société de classes et qui cependant peut revêtir, au sein du même ordre social, selon les conditions naturelles, politiques, économiques et sociales particulières à chaque pays des formes extraordinairement variées.

 

            Le militarisme est une des formes les plus importantes et les plus dynamiques de la vie en société ; en lui s’exprime de la façon la plus nette, la plus concentrée et la plus exclusive l’instinct de conservation national, culturel et de classe, le plus élémentaire de tous les instincts.

 

            Une histoire du militarisme, dans le sens le plus profond du terme, révèle l’essence intime de l’histoire de l’évolution humaine, ses ressorts en général ; disséquer le militarisme capitaliste, c’est mettre à nu les racines les plus fines et les plus cachées du capitalisme. L’histoire du militarisme est celle des antagonismes politique, sociaux, économiques et, d’une façon générale, culturels, entre les Etats et les nations, comme aussi celle des luttes des classes à l’intérieur de ces nations

 

Il ne peut être question ici bien entendu de faire même l’essai d’une telle histoire. Contentons-nous de quelques réflexions d’ordre général.

 

Formation et fondements des rapports de domination sociale

 

       Le fondement essentiel de tout rapport de domination sociale est en dernière analyse la supériorité de la force physique  (1) qui, en tant que phénomène social n’est pas manifestée par la force corporelle plus grande des différents individus, pour lesquels en règle général un homme est égal à un autre homme ; le facteur décisif, c’est la majorité numérique. Ce rapport numérique n’est pas simplement celui des groupes dont les intérêts s’opposent : étant donné que nul ne connaît ses propres intérêts, ses intérêts fondamentaux, étant donné surtout que nul ne reconnaît les intérêts de sa classe comme les siens propres, il est déterminé essentiellement par le degré de conscience de classe plus ou moins grand, selon le niveau du développement intellectuel et moral de la classe en question. Ce niveau intellectuel et moral dépend à son tour de la situation économique des différents groupes d’intérêt (classes), tandis que la situation sociale et politique apparaît davantage comme une conséquence – à vrai dire une conséquence qui a de très fortes répercussions – que comme l’expression du rapport de domination.

 

            Directement aussi, la supériorité purement économique contribue au changement de ce rapport numérique. En effet, la pression économique, non seulement détermine le niveau intellectuel et moral, et par là la compréhension de l’intérêt de classe mais elle crée également une tendance à agir à l’encontre de l’intérêt de classe,  plus ou moins bien compris. Que la machinerie politique de la classe qui exerce cette pression confère aussi d’autres moyens en vue de « corriger » ce rapport numérique en faveur du groupe d’intérêt dominant, c’est ce que montrent quatre institutions bien connues de tous : la police, la justice, l’école, et aussi l’Église, institutions que crée la machinerie politique, la machinerie légale et qu’elle utilise en tant que machinerie judiciaire et administrative. Les deux premières agissent principalement par la menace, l’intimidation et la violence ; l’école, par la l’obstruction la plus large possible de toutes les voies par lesquelles la conscience de classe peut pénétrer dans les cerveaux et dans les cœurs ; l’Eglise enfin, de la façon la plus efficace par l’ignorantisme, par la promesse du miel céleste et la peur des tortures de l’enfer.

 

Mais la majorité numérique ainsi acquise ne décide pas en fin de compte du rapport de domination. L’homme armé multiplie sa force physique grâce à son arme. Dans quelle mesure cette multitude s’accomplit, cela dépend du développement de la technique des armes, fortifications et stratégie comprises, dont le développement est essentiellement une conséquence de la précédente. La supériorité intellectuelle et économique d’un groupe d’intérêts sur un autre se transforme directement par l’armement ou le meilleur armement de la classe supérieure, en supériorité physique, créant les conditions d’une domination complète d’une majorité inconsciente par une minorité consciente.

 

Même si la division en classes est déterminée par la situation économique, le rapport politique des forces entre les classes n’est réglé qu’en premier ressort par la situation économique des différents individus ; il l’est en outre par de nombreux instruments de puissance intellectuels, moraux et physiques, déterminés à leur tour par la situation économique de la classe qui exerce la domination économique. Tous ces instruments de puissance ne peuvent pas influencer l’existence des classes, car celle-ci est déterminée par une situation qui ne dépend pas d’elles, qui pousse et maintient nécessairement certaines classes, aptes à constituer elles-mêmes une majorité dans un état d’entière sujétion économique à l’égard d’autres classes. Celles-ci peuvent représenter une petite minorité, sans que la lutte de classe ou un instrument de puissance politique quelconque puisse y changer quoi que ce soit (2). La lutte de classe peut par conséquent n’être qu’une lutte en vue de développer la conscience de classe, y compris la disposition à l’action révolutionnaire et aux sacrifices dans l’intérêt de la classe, parmi les membres de cette classe, et en vue de conquérir ces instruments de puissance qui sont importants pour créer ou réprimer la conscience de classe, ainsi que ces instruments de puissance physique et intellectuelle dont la possession a pour résultat de multiplier la force physique.

 

On voit ainsi le rôle important que joue la technique des armes dans les luttes sociales. S’il n’y a pas ou s’il n’y a plus là une nécessité économique, c’est pourtant l’action militaire, l’ »action politique concentrée », qui donne à une minorité la possibilité de régner sur une majorité contre sa volonté, du moins pendant un certain temps. Abstraction faite de la division en classes, le développement des rapports de domination est partout étroitement lié effectivement au développement de la technique des armes. Aussi longtemps que tout un chacun – même le plus mal placé au point de vue économique – peut, avec des difficultés à peu près égales, fabriquer des armes d’une efficacité à peu près égale, le principe de la majorité, la démocratie, sera la forme politique normale. Cela devrait être le cas, même avec une division économique des classes, dans la mesure où précisément cette condition existerait. Le processus du développement naturel est cetes que la division en classes, conséquence du développement technico-économique, se poursuit parallèlement au développement du développement de la technique des armes (y compris les fortifications et la stratégie), que par là la fabrication des armes devient de plus en plus une activité spéciale ; en outre, dans la mesure où la domination de classe signifie en générale une supériorité économique d’une classe sur l’autre et que l’amélioration de la technique des armes mène à une difficulté et un enchérissement croissants de la fabrication des armes, celle-ci devient peu à peu le monopole de la classe qui exerce la domination économique. Ainsi est supprimé le fondement physique de la démocratie, car c’est alors que se confirme l’adage selon lequel possession vaut titre. Même après avoir perdu sa supériorité économique, la classe qui possède les instruments du pouvoir politique peut maintenir, tout au moins pour un temps, sa domination politique.

 

            Il en en résulte non seulement la forme et le genre des rapports de domination politique, mais aussi la forme et et le genre des luttes de classes sont codéterminés par la technique des armes. Cela n’a pas besoin d’être exposé ici plus en détail.

 

            Mais il ne suffit pas que tous les citoyens possèdent les mêmes armes et les gardent chez eux pour maintenir la démocratie : la seule répartition égale des armes n’exclut pas comme l’ont montré les évènements récents en Suisse, que l’équilibre soit rompu par la majorité sur le point de devenir une minorité ou même par une minorité mieux organisée. L’armement égal de toute la population ne peut être durable et irrévocable que si la fabrication des armes est elle-même le fait de tous.

 

            Le rôle démocratisant que peut jouer la technique des armes, Bulwer l’a montré d’une façon spirituelle dans un de ses ouvrages les moins connus, la remarquable utopie intitulée The coming race (La race future, la société de l’avenir). Il suppose dans cet ouvrage  un tel développement de la technique qu’à l’aide d’une baguette facile à fabriquer et chargée d’une énergie mystérieuse analogue à l’électricité chaque citoyen soit en état de provoquer à tout moment les effets les plus dévastateurs. Et en effet nous pouvons compter que, même si c’est dans un avenir lointain, la technique, la maîtrise des forces naturelles les plus puissantes par l’homme atteindra un jour un niveau tel qu’elle rendra impossible l’emploi de la technique de mort, qui signifierait l’autodestruction du genre humain et ferait de l’utilisation des progrès de la technique, d’une possibilité en quelque sorte ploutocratique qu’elle était, une possibilité en quelque sorte démocratique, et en général humaine

 

(1) Et, bien sûr, celle aussi du régulateur indissociable de la force physique : la force intellectuelle, dans la mesure où elle autorise une utilisation optimale de la force physique et s’approprie les forces physiques étrangères. Les dimensions de l’appropriation de la force physique en tant que phénomène social, c’est-à-dire son extenion et sa fréquence dans les différents groupes d’intérêts dressés les uns contre les autres, son intervention dans la structuration des rapports de domination sociaux dépendent essentiellement, et en règle générale, de la situation économique des groupes d’intérêts comme certains exemples le montrent dans ce qui suit (Note dans le texte)

 

(2) dans la production sociale de leur vie, les hommes sont soumis à des conditions déterminées, nécessaires, indépendantes de leur volonté, à des rapports de production qui correspondent à un stade déterminé de leurs forces de production matérielles ». Karl Marx, Critique de l’économie politique (Note dans le texte).

 

Le prolétariat et la guerre

Les traits fondamentaux du "militarisme à destination de l'intérieur" et ses tâches

Les difficultés de la révolution prolétarienne

Antimilitarisme anarchiste et antimilitarisme social-démocrate

Les tâches antimilitaristes de la social-démocratie allemande

 

maspero, karl liebknecht

Militarisme, guerre, révolution

Choix de textes et présentation de claudie weill

Traduction de marcel ollivier

François maspero BS17

19702. Lutte de classe contre le militarisme

P 79 - 96

 

 

sur marxist.org le texte en allemand

Karl Liebknecht

 

Militarismus und Antimilitarismus
unter besonderer Berücksichtigung der internationalen Jugendbewegung
(1907)

Dr. Karl Liebknecht, Militarismus und Antimilitarismus, Leipzig 1907.
Nachdruck Weltkreis-Verlag-GmbH, Dortmund 1971.
Transkription u. HTML-Markierung: Einde O’Callaghan für das Marxists’ Internet Archive.


 

Erster Teil: Militarismus

 

Zweiter Teil: Antimilitarismus

 

Tag(s) : #Militarisme. Rosa Luxemburg, #Le courant révolutionnaire. Rosa Luxemburg
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