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1907. La position de Jaurès après le Congrès de Stuttgart (1907). En contre-point à Rosa Luxemburg.
Après Stuttgart

31 août 1907, La dépêche

 

Jaurès, l’intégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans la Dépêche, P 704/705

 

J’avais écrit ici, avant les Congrès de Nancy et de Stuttgart, que le devoir des socialistes était d’affirmer très haut le droit des nations à l’indépendance et à la vie, et d’affirmer aussi que les prolétaires de tous les pays s’opposeraient à toute guerre d’aventures, de rapines et de haine, non seulement par des mots, mais par une action concertée et rigoureuse. Je ne faisais ainsi qu’exprimer ce que je savais être la pensée commune de l’immense majorité des socialistes, et c’est à cette double pensée que répondent les décisions du Congrès international de Stuttgart, comme celles de Nancy. J’ai à peine besoin de rappeler que la résolution de Nancy fait une obligation absolue aux prolétaires de défendre leur indépendance nationale et même d’aider la classe ouvrière de tous les pays à défendre les nations menacées dans leur autonomie. Quant à la résolution de Stuttgart, elle est si éloignée de faire fi de l’existence et de la liberté des nations qu’elle détermine, en attendant l’heure où prévaudra l’arbitrage international, la meilleure organisation, la plus démocratique à la fois et la plus efficace, des moyens de défense de chaque pays. En ce point il y a accord unanime des socialistes ; et il est permis de dire que ce qui s’était mêlé de paradoxal et de malsain à « l’hervéisme » est éliminé. Aussi bien Hervé lui-même a-t-il avoué que sa  propagande était trop simple, trop unilatérale et qu’on n’avait pas tenu un compte suffisant de tous les éléments du problème. L’effort même qu’il a tenté pour obtenir que les socialistes allemands s’engagent à une action précise et rigoureuse contre la guerre, d’accord avec les socialistes français, montre bien qu’il n’entend pas jouer l’existence nationale de la France. Peu à peu, quelle que soit la perfidie de nos adversaires, ou leur aveuglement, les préjugés se dissiperont et les calomnies tomberont. Il est certain, en effet, que le Congrès international de Stuttgart marque la volonté ferme des ouvriers de tous les pays d’intervenir ensemble pour prévenir les guerres. Oh ! Je sais bien que les réacteurs de toute nuance raillent cet effort ; ils n’ont que moquerie, sincère ou affectée, pour cette réunion de délégués de tous les peuples. Ils dénoncent la prétendue confusion, la prétendue impuissance du Congrès. Je les plains en vérité s’ils ne voient pas la grandeur de la tentative. L’Internationale  a fait des progrès immenses.  Le Congrès a pu, malgré les difficultés très grandes créées par la différence des langues, malgré la pesanteur du mécanisme qu’il devait mouvoir, aborder les plus grands problèmes. Il les a discutés sérieusement, soit dans les commissions, soit dans les séances plénières. Et ce qui caractérise son effort, c’est qu’il ne s’est pas tenu à des formules générales. Il a tenté de  donner des solutions précises, d’indiquer des directions nettes pour l’action. Qu’on lise avec soin les débats sur la politique coloniale, la résolution si intéressante sur l’émigration et l’immigration, enfin la résolution sur le militarisme et la guerre, on verra que l’Internationale, malgré la complexité énorme des questions, ne se borne pas à promulguer des principes généraux ; elle essaie de stimuler, de coordonner les efforts des Parlements et des peuples. Oh ! Je sais bien que sur la grande et redoutable question du militarisme et de la guerre, les calomnies et les railleries de la presse antisocialiste se déchaînent contre nous Français. A lire les journaux de France, on croirait que nous avons fait je ne sais quelle sinistre besogne contre la patrie. Et on prétend que nous désarmons la patrie française, pendant que les socialistes allemands se préparent à défendre énergiquement la patrie allemande. Ce qui me rassure, c’est que la plupart des journaux de l’Allemagne impériale tiennent contre les socialistes allemands le même langage. Je les ai en ce moment sur la table où j’écris cet article : c’est un monceau de déclamations patriotiques et de dénonciations policières contre Bebel, contre tout le parti. Le grand journal gouvernemental La Gazette de l’Allemagne du Nord, déclare que la seule conclusion nette qui se dégage du Congrès de Stuttgart, c’est que les socialistes allemands sont les moins patriotes de tous les socialistes. D’autres demandent que des poursuites soient intentées contre le parti et que le gouvernement « ait l’œil ouvert sur les compagnons ». Sous toutes les calomnies contradictoires dont on l’accable, le socialisme international apparaîtra de plus en plus comme la force de paix, comme la garantie du développement régulier de la civilisation européenne. A coup sûr, le prolétariat n’est pas encore assez organisé pour exercer une action certaine et décisive. Mais il a marqué au Congrès de Stuttgart sa ferme volonté de développer une action dans le sens de la paix. Il fait savoir aux gouvernements, à tous, qu(‘il n’est pas disposé à subir passivement les conflits déchaînés par l’orgueil et la convoitise des dirigeants. Il veut que l’arbitrage résolve les difficultés internationales et que les armements et la guerre ne dévorent plus la substance des peuples. Il déploiera à cet effet une énergique propagande dans tous les pays. Tous les parti nationaux , avec des différences inévitables de tempérament et en s’adaptant à des nécessités diverses, sont d’accord pour cette action fondamentale, et je le demande à tout homme de bonne foi : est-ce que ces vigoureuses affirmations ne sont pas de nature à faire réfléchir les fauteurs de guerre ? Est-ce que le Congrès international de Stuttgart n’a pas ajouté aux chances de la paix générale ?

Tag(s) : #Colonialisme. Rosa Luxemburg, #Militarisme. Rosa Luxemburg
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