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A. Merrheim

A. Merrheim

La grève générale qui vient de soulever les masses populaires dé la Catalogne, et dont on a suivi les péripéties dans les journaux quotidiens, a montré qu'il arrive tôt ou tard un jour où les prolétaires en ont assez d'aller, se faire tuer pour le capitalisme international. Jamais guerre ne fut plus justement impopulaire que celle que l'Espagne poursuit contre les Riffains, et l'on comprend que les ouvriers espagnols, qui eux n'ont pas l'argent pour se faire remplacer à l'armée comme les jeunes bourgeois de leur pays, que les réservistes, que la nécessité de gagner leur vie et celle de leur famille condamne au travail, se soient insurgés. Certes, insuffisamment organisés et nullement soutenus par le reste de l'Espagne, ils ont été vaincus. Mais leur geste courageux ne sera pas perdu, il servira d'exemple. En tout cas, ils ont appelé l'attention publique sur les intrigues capitalistes qui se poursuivent au Maroc. Si l'Espagne n'était pas intervenue, la France allait agir, et c'est, en somme, pour des intérêts capitalistes français que les Espagnols se font massacrer là-bas. On sait que sur tous les points du Maroc des sociétés minières se sont constituées. Des « prospections » s'organisent encore tous les jours, car le Maroc possède des mines d'une valeur considérable. Leurs minerais ont, paraît-il, un rendement de 75 pour 100 de leur poids brut, alors que les célèbres minerais de Bilbao, Espagne, atteignent à peine 50 pour 100 et l'Ouenza de 55 à 60 pour 100.

 

Trois groupes importants existent à: Fez. Ces groupes sont: 1° L'Union des Mines marocaines, société à laquelle le Creusot et la Société d'Agadir et Mokta-el-Hadid ont adhéré au début; 2° Le groupe des frères Menesmann, auquel Krupp fut adhérent au début; 3° La Compagnie Espagnole des Mines du Riff,- à laquelle les plus forts établissements financiers d'Angleterre, de Belgique, d'Espagne et d'Italie prêtent leur concours financier.

 

Dès le début, une rivalité profonde divisa l’Union des Mines marocaines et le Groupe des frères Menesmann. Cette rivalité fut telle que l’Opinion du 7 août dernier a tenu à signaler que « le divorce franco-espagnol au Maroc résulte des faits supérieurs et antérieurs aux accords ». Supérieurs! Pourquoi?...

 

Tout simplement parce que ces faits échappaient à l'action des gouvernements français et espagnol. Ils avaient leurs sources dans la rivalité des deux groupes ci-contre, plus puissants que les gouvernements de leurs pays respectifs. Antérieurs! C'est donc que la lutte des deux groupes a abouti à l'accord franco-espagnol.

 

De sorte qu'on peut tenir pour exacte, à mon avis, la Convention secrète, signée le 6 octobre 1906 par M. Delcassé et que L’Humanité a publiée d'après un résumé fait par la Wiener Allgemeine Zeitung. La voici :

 

Article premier. — La France et l'Espagne se garantissent mutuellement, leurs possessions dans l'Afrique du Nord.

Art. 2. — La France et l'Espagne se mettent d'accord pour délimiter la sphère de leurs intérêts économiques au Maroc et à Fez.

Art. 3. — Au cas où les forces militaires espagnoles ne suffiraient pas à défendre les possessions comprises entre la frontière de la banlieue de Ceuta et celle de Melilla, la France s'engage à prêter à l'Espagne le secours de ses armes.

Art. 4. — Si l'Espagne désirait céder, vendre ou affermer partiellement ou totalement ses possessions marocaines à une autre puissance ou à la population indigène, elle s'engage à ne point agir sans le consentement exprès de la France.

 

 

Pour comprendre cette convention secrète, il faut remonter au début de l'affaire marocaine. Dès ce moment, le Comité de l'Afrique Française, dans un de ses Bulletins, reprochait très vivement au comte de Romanones, ancien ministre des affaires étrangères d'Espagne et grand brasseur d'affaires, d'être à la fois du Consortium Schneider (Union des Mines marocaines) et du Groupe des frères Menesmann. Et dans une interview que le comte de Romanones donnait tout dernièrement au journal Espana Nueva, on retrouvait nettement le fil de l'affaire marocaine.

 

Le comte de Romanones explique qu'il aurait voulu garder pour l'Espagne les mines de Melilla, Ceuta et Tetuan. Dans ce but, il constitua une société au capital de 2 millions de pesetas. Immédiatement, une autre société dite : Nord-Africaine se constitua à Madrid. Elle n'avait d'espagnol que le nom de son président. Tout le capital et les .actionnaires étaient français. Cette société obtient l'autorisation de fonctionner avant celle du comte de Romanones. (M. Delcassé pourrait peut-être nous apprendre comment elle construisit son chemin de fer et des maisonnettes qui sont de véritables fortins). Un ingénieur espagnol, M. Miguel Villanueva, fit un voyage à Melilla, vit le chemin de fer et les maisons et, débarqué à Malaga, raconta à un journaliste ce qu'il avait vu. « Ces confidences — déclare le comte de Romanones - déplurent à certains éléments de Melilla et il y eut des: négociations et des entrevues dans lesquelles M. Rodriganès et moi nous eûmes à entendre deux généraux. A la fin tout put marcher, les Français étant résolument appuyés; par leur groupe colonial,- avec, en, tête, M. Etienne et d'autres personnalités en résidence à Madrid ».

 

Ainsi — personne ne mettra en doute la parole, du comte de Romanones, ancien ministre espagnol des affaires étrangères — il y eut «négociations », « entrevues », etc., et si tout put marcher, c'est parce que les actionnaires français de la Société espagnole furent « résolument appuyés par leur groupe colonial, avec, en tête, M. Etienne ».

 

C’est de ces négociations et entrevues qu'est certainement sorti l'accord secret, que je reproduis plus haut entre la France et l'Espagne, accord par lequel les deux nations délimitèrent la « sphère de leurs intérêts économiques au Maroc et à Fez » et dans lequel la France « s'engage à prêter à l'Espagne le concours de ses armes» en cas de nécessité.

 

Sans doute, officiellement, le gouvernement français ne l'a pas encore fait. Mais officieusement, il a commencé, puisque c'est le chemin de fer des mines françaises qui transporte les ravitaillements de l'armée espagnole à Melilla. N'est-ce pas un commencement d'application dé la Convention secrète signée par M. Delcassé? On est en droit de le penser, car — d'après le comté de Romanones — ce sont seulement les mines françaises, leur çhemin de fer et leurs maisons qui sont en danger.

 

C'est donc bien pour des capitalistes français et tout particulièrement pour le mystérieux metteur en œuvre de l'Affaire de l’Ouenza, pour l'ancien ministre de la guerre Etienne et ses amis, que les Espagnols vont se faire massacrer du Maroc.

 

On s'imagine sans effort l'enthousiasme médiocre des pauvres soldats et réservistes espagnols pour une pareille aventure. Qu'on lise ce récit:

 

Quelques rumeurs que des voyageurs colportent avec eux, rumeurs qu'on n'arrête pas en douane, aident, au surplus à comprendre ce qui se passe chez le préside voisin.

C'est l'indescriptible tumulte, un long cri sans trêve, des blessés par centaines qui débordent des hôpitaux, des ambulances, jusque chez les particuliers, jusque dans la rue.

Le désordre qui règne est impressionnant; les carrefours sont encombrés d'hommes de troupes, de-matériel de guerre, d'approvisionnements qu'on débarque pêle-mêle, parmi quoi des officiers bouclent leurs ceinturons, invoquent la vierge et crachent de rage... On reconnaît à leur attitude lugubre, la face trouble, inquiète, les réservistes subitement sortis de leurs foyers et poussés à la manière des mauvaises vaches dans le toril, ils ont quitté leurs familles pour se battre contre le Maure, SANS COMPRENDRE, POUR RIEN, parce qu'ils étaient sans moyens de se payer un remplaçant. CES SOLDATS, LA VEILLE, IGNORAIENT DANS LEURS CAMPAGNES L'EXISTENCE D'UN MAROC, et les voilà à peine déchargés en grappes des bateaux, qu'on les mène au feu, avec encore aux lèvres la saveur du mal de mer! La griserie de la poudre les prend, ils se battent terriblement, mais ils ne sont pas commandés, ils sont entraînés vers des corps à corps, des luttes au couteau, ou succombent les chefs; alors c'est la fuite vers les murailles, C'EST DU MASSACRE;

 

C'est le correspondant de l’Opinion à Tanger qui écrit cela! Nous voyons ainsi où peut nous conduire demain l'Internationale capitaliste au Maroc!

.

L'Humanité du 21 août publie intégralement les impressions que M. Miguel Villanueva, dont j'ai parlé, et qui est un ancien ministre du parti libéral, a rapporté du Maroc. C'est édifiant. M. Villanueva dénonce tout d'abord, comme responsable du conflit, la compagnie minière française, soutenue par nos politiciens d'affaires :

 

Ce gouvernement d'incapables a compromis depuis cinq ans les intérêts de la patrie au nord.de l'Afrique et est en ce moment en train de compléter son œuvre néfaste. Il abandonna en 1904 le Maroc aux appétits désordonnés dé la France et celle-ci l’a obligé par la suite à entreprendre.; dès expéditions militaires qui vont ruiner et déshonorer l'Espagne

Le président du conseil des ministres lui-même n'a-t’il pas avoué qu'il n'est entré dans ces voies 'dangereuses que pour éviter que d'autre se chargent de faire à nos lieu et place ce qui nous incombe.'

C'est ce 'même gouvernement qui obéissant1à la pression venue de Paris, ouvrit le territoire de Melilla à une compagnie minière française, et celle-ci par ses basses manœuvres à provoqué les sanglants événements de l'heure actuelle. C'est encore lui qui, n'écoutant pas les conseils loyaux et désintéressés qui lui furent prodigués, s'entêta à altérer la paix profonde dans laquelle on travaillait aux mines de Beni-Bu-Ifur, en encourageant et en protégeant les Kabyles révoltés contre le Rogui et en obligeant ce dernier à s'éloigner de nos possessions où il servait l'Espagne d'une façon autrement efficace que toutes nos actuelles armées. Il a donc fallu remplacer le Rogui, lorsqu'il quitta ses anciens cantonnements, par une expédition militaire des plus ruineuses.

 

Mais le gouvernement espagnol avait besoin de la guerre actuelle, pour justifier son invraisemblable attitude. C'est ce qu'explique aussi M. Villanueva :

 

Le gouvernement, continue-t-il, a cherché à provoquer l'agression des Maures; il en avait besoin pour justifier son invasion du territoire à proximité de Melilla, de ce territoire que d'autres étaient résolus à occuper, puisque les soldats français pénétreraient derrière ces aventuriers qui étaient habilement dirigés, aidés non seulement de Paris, mais aussi par l'ambassade française à Madrid, et préparer le terrain avec la complicité inconsciente du gouvernement espagnol. Cette nouvelle soumission à la politique française est déjà scellée par le sang espagnol et rappelle les pages les plus funestes de notre alliance avec la nation voisine.

 

Je n'insiste pas davantage. J'ai voulu, par cette courte note, signaler l'imbroglio financier international qui est au fond des événements d'Espagne et du Maroc. C'est une leçon de faits que les prolétariats espagnol et français ne pourront pas oublier.

 

A. MERRHEIM

Tag(s) : #Colonialisme. Rosa Luxemburg
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